Samedi 20 août
Apres s’être amusés, la veille, à changer six fois d’hémisphère en une minute, en sautant à pieds joints sur la ligne matérialisant au sol l’équateur, nous quittons aujourd’hui Macapa.

Sur la ligne de l’équateur: à chacun son hémisphère!
Pour la sixième et dernière fois, nous prenons un bateau.
Notre destination est notre terminus sur l’Amazone : le port de Belem, lui aussi dans le delta du grand fleuve, mais sur l’Atlantique et à 300 km au sud-est de Macapa.
Entre ces deux points, le splendide delta de l’Amazone et son île principale de Marajo, aussi vaste que la Belgique, que l’on peut contourner de deux façons. Soit par l’est, par la haute mer, en prenant le “Canal do Norte” qui nous fait ensuite passer par l’Atlantique (cap Maguarinho). Soit par l’ouest, en passant “entre les îles” qui forment le delta et en embouquant une série de petits canaux qui étaient, il y a encore quinze ans, une zone
infestée de pirates, “las ratas de agua”.
C’est là que le célèbre navigateur néo-zélandais Peter Blake a perdu la vie en 2001. Il avait simplement refusé de donner, à un de ces pirates, la montre gagnée en tant que vainqueur de la Coupe de l’America. Cet épisode eut un tel retentissement international qu’il provoqua un vigoureux nettoyage du delta par la marine de guerre brésilienne. Sur le port de Santana, on raconte encore qu’il y a peu de temps, certains bateaux (les “lanchas”), naviguaient en convois et embarquaient des militaires de la Police fédérale pour repousser d’éventuels assaillants.
A Santana, nous embarquons sur l’Ana Beatriz 4, prévu appareiller à 10h. La navigation va durer un peu moins de 24h et notre bateau prendra les petits canaux de l’Ouest.
Apprenez aussi qu’il y a des marées dans l’embouchure et le delta de l’Amazone et que le marnage pouvant atteindre 2 à 3 mètres, tous ces petits canaux ne peuvent être fréquentés que par des bateaux à faible tirant d’eau. Celui de l’Ana Beatriz étant de 50 cm, nous ne risquons rien.
Ce bateau moderne (1980), est propre et bien commandé. De nombreux détails l’attestent : les lances d’incendie, déployées et sous pression, sont prêtes à fonctionner, les aussières sont bien lovées, la diffusion générale marche bien, le matériel est rangé, les ordres donnés aux matelots sont clairs…
Il a une particularité : le pont principal, le moins cher, où 150 à 200 hamacs vont être accrochés, est climatisé.
Contre la somme de 500 Reals (170 euros pour 2 personnes), la commissaire de bord nous attribue une cabine avec douche/WC/ lavabo privée. Elle précise que le petit déjeuner est offert mais que le déjeuner et le dîner sont payants (5 euros par personne).
La cabine attribuée n’ayant plus de serrure, nous sommes surclassés et recevons une “suite”: un lit double et un lit simple superposé avec toilettes privées et frigidaire. Bizarrement il n’y a pas, comme dans les bateaux précédents, de porte-manteau ou de crochets pour suspendre nos affaires. Je dois vous avouer qu’après
six embarquements, nous sommes maintenant devenus très doués pour accrocher nos sacs en plastique (de nourriture, de déchets, de savons, de linge mouillé …), nos serviettes et autres gants de toilette aux coins du lit, au sommier du lit supérieur, à la moindre tête de vis dépassant du mur …
Aujourd’hui, avec ses murs en fer, son absence de mobilier et nos six sacs en plastique, notre cabine ressemble plus que jamais à une cellule de Fleury Mérogis qu’à une “suite” de bateau de croisière.
Nous nous y installons cependant avec plaisir et sommes étonnés par sa propreté (pas une tache de rouille ; enfin, des matelas et des murs propres). Les murs en fer sont couleur “citron vert” et le sol est bleu acier.
Dans cette cabine, la surface au sol, où nous pouvons nous tenir debout, a doublé par rapport aux précédentes ; elle est passée de 1 à 2 m2….
Mais, nous n’avons toujours pas la moindre fenêtre, ni le moindre hublot. Notre suite est, une nouvelle fois, une cabine de prison mais, cette fois ci, elle est propre…
Mon équipière d’aventure constatant que seul le lit supérieur dispose d’un drap, s’étonne qu’il n’y en ait pas sur le grand lit. “Comme sur les autres bateaux”, me dit elle.
Je lui réponds que nous n’avons jamais eu de draps propres sur aucun des six bateaux précédents. Elle manque de s’évanouir…
Pendant ce temps, le bateau se remplit progressivement et nombreux sont les passagers qui emportent avec eux leur nourriture pour 24h. À bord de l’Ana Beatriz, il me semble que nous sommes, à nouveau, les seuls étrangers parmi les 300 passagers à bord.
Ayant une heure à attendre avant le départ, nous quittons le bateau et partons explorer le petit marché local. C’est un marché typique de village de marins : beaucoup de vendeurs de filets, d’hélices, d’appâts, de lignes d’arbres, de moteurs hors bord. Beaucoup de bazars où presque tout est vendu un ou deux euros : casseroles en plastique, pots de chambre, batterie de téléphone, montres, lunettes de soleil…
Nos pas nous conduisent ensuite au marché aux fruits. De nombreuses Brésiliennes y vendent des légumes et, dans des bouteilles en plastique, des sauces pimentées “maison”.
Plus loin, un magasin attire notre regard : un magasin d’objets religieux….
Une centaine de bouteilles proposent des huiles pour se faire pardonner d’avoir menti, d’avoir trompé son mari, d’avoir volé. Chaque péché a son Saint et chaque Saint sa bouteille. J’en achète trois que j’offrirai bien sûr car, tout le monde le sait, je ne pèche jamais…
Plus loin, à côté de Saintes Vierges en stuc, de nombreuses amulettes, d’une vingtaine de centimètres de hauteur, représentent la personne que l’on veut envoûter ou charmer : un paysan, un chasseur, un docteur… Il y a même une dizaine d’officiers de marine marchande (tous moustachus, beurk!) avec leurs belles tenues blanches et leurs casquettes. Qu’ont ils fait pour être envoûtés ? J’en ai une petite idée. Vont-ils, plutôt, être charmés?
En rentrant à bord, nous faisons la connaissance de deux Français qui voyagent ensemble depuis longtemps. Nous leur parlons de l’impossibilité d’acheter sur internet un billet d’avion Belem-Cayenne et de notre crainte de ne pas pouvoir, le 25 août, voler vers Cayenne. Ils nous conseillent de passer par Paramaribo et le Surinam. Affaire à creuser demain.
Au moment d’appareiller, trois personnes demandent à monter à bord quand le bateau est déjà éloigné du quai d’un bon mètre. Le commandant accoste à nouveau et les trois passagers (dont une aveugle) sont quasiment jetés sur le pont avec leurs bagages.
Nous sommes maintenant sortis du port. Notre bateau, l’Ana Beatriz 4 se dirige vers la haute mer. Aurions nous été trompés?
Une heure plus tard, vers midi, le Comandante met la barre à droite et part plein sud dans les bras du delta.
Nous passons entre l’île Quelmada et l’île do Para.
Le chenalage commence. Il va durer 20 heures. Pour la première fois depuis un mois, nous naviguons plein sud…
Plus nous chenalons, plus le chenal est étroit et plus les îles sont proches. Elles sont toutes principalement bordées de palmiers. Il n’y a pas de plage et l’eau du fleuve touche les premiers arbres ; par moment, l’Amazone rentre de 20 mètres dans la forêt.
L’eau change de couleur en fonction des courants et contre courants ; elle passe de café au lait à thé au lait. Par moment, il y a, sur l’eau, de grosses tâches noires ; ce sont les ombres des nuages. Le courant est fort.
Nous naviguons dans un dédale d’îles ; on se croirait dans le golfe du Morbihan.
A midi, nous avons le choix entre riz/poulet/ nouilles ou nouilles/ poulet/riz…
C’est décidé ; ce sera dînette dans notre cabine
(1 brioche et deux fruits).
Nous rentrons maintenant dans un petit canal, juste un peu plus large que le canal du Midi. Nous passons entre l’Ilha dos Macacos et l’Ilha Laguna.
Il y a peu d’eau mais cela n’est pas gênant car l’Ana Beatriz, malgré ses 4 ponts, ne cale que 60 cm.
Le spectacle est vraiment grandiose et magnifique. Deux rubans d’arbres, grands et élancés, bordent la route marron sur laquelle nous sommes lancés. Tout est vert. Les palmiers se battent pour avoir de la place car les bambous sont aussi hauts et plus nombreux. De temps en temps un arbre, au feuillage rouge, les domine. Au pied de ces géants, l’eau baigne et touche les premières feuilles. C’est très beau et c’est exactement le paysage amazonien que j’avais dans mon imagination et que je recherchais en faisant ce voyage.

L’étroitesse du canal fait que notre vague de sillage a bien un mètre de haut quand elle monte sur les rives, fait danser violemment les bateaux et canoës qui y sont attachés et éclabousse les indiens spectateurs sur la rive.
De temps en temps, un petit village avec une église apparaît. Le cimetière, à un mètre du bord de la rivière, est plus qu’à moitié submergé et seules deux croix bleues sortent de l’eau…
Le plus souvent, les maisons, toutes sur pilotis, sont isolées. Des enfants, à moitiés nus, en sortent et agitent leurs bras.
Quelle vie doivent avoir les habitants de ces maisons ? Quelques uns, et ils sont rares, ont des cellules photovoltaïques pour produire de l’électricité et alimenter, entre autres, les paraboles qui leur permettent de capter la télévision (photo).
Un spectacle inattendu se produit devant nous. Sur le fleuve et devant chaque village, des femmes ou des enfants sont dans des pirogues et attendent, dignes et immobiles, le passage de notre bateau.
Je comprends ce qu’elles font quand je vois des passagers lancer dans l’eau, depuis le pont inférieur, des sacs en plastique, parfaitement emmaillotés, contenant de la nourriture et, surtout, des vêtements. Elles pagayent avec force pour éviter de chavirer avec le remous créé par notre vague de sillage et, surtout, pour récupérer le sac.
Cette scène touchante se répète une douzaine de fois.
Apres un virage, l’Ana Beatriz sort brutalement du canal et arrive dans un lac gigantesque tant l’autre rive est loin et se confond avec l’horizon. C’est encore et toujours l’Amazone.
Nous n’avons pas le temps de chercher notre position sur une carte ; le “Comandante” vient de virer à droite et de reprendre un canal encore plus étroit.
La beauté du spectacle n’est pas surfaite car tous les Brésiliens sont sur les passavants à admirer la nature environnante.
Un jeune pêcheur lance son frêle esquif contre la coque de notre bateau et réussit à s’y arrimer. Il vend des sacs pleins de crevettes dont les Brésiliens raffolent tant.